Tiphaine SAMOYAULT Travaux et publications
 
 
 

 


L'Intertextualité, mémoire de la littérature
(Nathan, « 128 », 2001)
(Extraits)

Conclusion

Principe majeur de la constitution de l'espace littéraire, l'intertextualité trouve son sens et son emploi critiques en se combinant à d'autres perspectives : en plus d'être une théorie large, elle devient ainsi une méthode.

1.Celle-ci peut être d'un grand secours pour la critique psychanalytique en mettant en évidence un sous-texte interne : sans recourir aux éléments extratextuels tirés de la vie d'un auteur, l'examen de sa bibliothèque disposée dans son œuvre permet de lire des mécanismes subjectifs sans quitter l'univers des textes.
2.Associée à la théorie de la réception, l'intertextualité offre des indications précieuses puisqu'elle permet d'analyser la façon dont les textes portent de véritables scénographies de la lecture. De plus, en déplaçant la réflexion de l'histoire littéraire du côté d'une perception transhistorique, elle autorise l'examen de modalités non pas positivistes, mais mémorielles, de la relation production-réception.
3. Pour l'analyse stylistique des textes, l'intertextualité comme méthode peut être convoquée pour le repérage de disjonctions ou d'éléments hétérogènes, comme nous avons vu que le faisait Michael Riffaterre ; une stylistique de l'intertextualité semble également productive : en faisant l'inventaire des occurrences intertextuelles pour préciser leurs indices contextuels et leurs configurations formelles, il devient possible d'envisager les liens de la littérature avec elle-même comme des opérations techniques particulières. Par là, l'attention à l'intertextualité s'éloigne radicalement de la critique des sources : il ne s'agit plus d'identifier un modèle pour le valoriser mais, toujours dans une perspective transhistorique, d'analyser la circularité des effets de sens.
4. Combinée à la critique génétique, elle offre encore, on l'a vu, des pistes d'analyse intéressantes, en s'attachant aux opérations d'absorption progressive des matériaux extérieurs. Pierre-Marc de Biasi le souligne en conclusion de l'article « Intertextualité » de l'Encyclopedia Universalis : un nouvel horizon d'études consisterait à élucider « comment se construit l'emprunt, à l'état naissant ; comment la citation, le plagiat, la référence et l'allusion résultent aussi d'une appropriation et d'une intégration ayant l'espace même du texte qui s'invente. »
5. Associée à la sociocritique, l'intertextualité permet de distinguer l'origine des énoncés afin d'apprécier mieux le texte comme orchestration des voix qui composent le discours social (formalisation du projet bakhtinien tel qu'il a été repris par Marc Angenot ou Claude Duchet).

Dans tous les cas, si la notion d'intertextualité paraît tellement féconde, c'est qu'elle s'interpose toujours entre le texte et le commentaire, de la même manière qu'il y a toujours des livres autres qui viennent consciemment ou inopinément à l'esprit de celui qui écrit ou de celui qui lit. Comme tous les arts, la littérature s'élabore avec une part artisanale de bricolage : et si son matériau est le langage, il est le plus souvent du langage déjà mis en forme dans la littérature existante (ce qui va contre l'idée de la littérature comme travail sur le langage abstrait, au sens jakobsonien des structuralistes). La citation, la réécriture, la transformation et l'altération, quel que soit le rapport de l'auteur – mélancolique, ludique ou désinvolte – au déjà dit, ne font que mettre en lumière le travail commun et continu des textes, leur mémoire, leur mouvement.

 

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Textes en ligne

L'intertextualité

Référence, référencialité, relation.
(extraits du chapitre III.)

<Une introduction>

<Le texte contre le monde>

<Vers une théorie de la "référencialité">


<Divergence et convergence>

<Conclusion>

Poses du lecteur dans
L'Homme sans qualités

L'Hybride et l'hétérogène

 

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