Tiphaine SAMOYAULT Travaux et publications
 
 
 

 


L'Intertextualité, mémoire de la littérature
(Nathan, « 128 », 2001)
(Extraits)

Divergence et convergence

Comment analyser le rapport circulaire du texte au “modèle”, sinon aux énoncés qu'il répète sans retomber dans l'ancienne critique des sources, ou dans un déterminisme vertical qui n'envisage que succession ou filiation. L'article d'André Topia consacré à la citation chez Joyce fournit un exposé pragmatique et clair des possibilités offertes, aussi nous permettons-nous de le citer assez longuement : « On peut s'attacher d'abord au rapport entre le corpus originel du texte emprunté et la version de ce même texte emprunté telle qu'elle apparaît une fois remodelée au sein d'un nouveau contexte (l'écho n'est pas répétition, la réutilisation n'est pas restitution). Ou bien on pourra privilégier le rapport entre le texte-support et le fragment réutilisé au sein du nouvel ensemble formé par leur coexistence, en prenant pour hypothèse que cette coexistence est plus qu'une simple juxtaposition, que l'assemblement de deux textes engendre inévitablement une configuration textuelle nouvelle, qualitativement différente de la simple addition de deux unités. La citation devient alors texte-greffon qui “prend”, c'est-à-dire qui prend racine dans son nouveau milieu et y tisse des liens organiques. Du corpus encyclopédique des exemples on passe à un corpus organique où des liens sont tissés à la fois avec l'ensemble de départ et avec l'ensemble d'arrivée. Le fragment cité conserve des liens avec son espace d'origine, mais il n'est pas inséré impunément dans un nouveau milieu sans que lui-même et ce nouveau milieu n'en subissent des altérations non négligeables. (« Contrepoints joyciens », p. 353) On le voit, la première démarche proposée implique de maintenir un rapport à l'original dans une réflexion dont les mots d'ordre sont la reprise et le remodelage. La seconde insiste plus sur le montage et les questions d'homogénéité ou d'hétérogénéité. Les effets de convergence et de divergence peuvent dès lors se construire selon quatre modes :

1) La configuration : elle repose sur l'analyse des rapports entre textes et avant-textes pour l'examen d'un travail différentiel de l'écriture / réécriture « dans une diachronicité réinscrite au cœur du processus textuel. » (L. Milesi, p. 27) Elle peut montrer ainsi comment se constitue une poétique du texte à partir de la bibliothèque, même si l'entreprise n'est possible – et même intéressante – que sur des micro-structures. Comme le précise Henri Mitterand à propos de la bibliothèque de Zola, « il ne nous reste plus qu'une bibliothèque virtuelle, présupposée par tous les condensés de lectures qui tissent les avant-textes et le texte de l'œuvre romanesque. Une bibliothèque fictive, en somme. C'est considérable ! Reconstituer son catalogue s'apparenterait aussi bien à un exercice d'érudition – fiction à la Borges ou à la Perec – qu'à une recherche archéologique. Mais de l'archive et de la conjecture à la fiction, il n'y a qu'un pas, qu'il n'est pas absolument interdit à la génétique de franchir : c'est même ce qui fait son attrait. » (« La Bibliothèque virtuelle des Rougon-Macquart », p. 61)
2) La refiguration : il s'agit de se démarquer de la position historiciste s'intéressant aux influences pour laisser au littéraire la possibilité de se refigurer constamment. On retrouve là la position de Michael Riffaterre, qui, ainsi que le résume Laurent Milesi, opère au niveau de la différentialité inscrite dans la sémiosis (relation ternaire entre un signe, son objet et son interprétant, prenant le signe dans sa signifiance textuelle déterminée par une objet-intertexte plus que par son contexte). La démarche sera celle d'une sémiotique travaillant ainsi des questions de littérarité.
3) La défiguration : c'est mettre l'accent davantage sur toutes les opérations d'altération et de transformation textuelle produites par l'intégration et le montage. Par rapport à la précédente, la démarche sera plus stylistique que sémiotique, et elle examinera la tension entre homogénéisation et hybridation, travail que Laurent Jenny ou Lucien Dällenbach ont pu faire à propos des textes de Claude Simon.
4) La transfiguration : elle analysera les effets de convergence et de divergence dans les termes d'une poétique entendue comme travail sur les genres. Gérard Genette a si bien fait ce travail dans Palimpsestes qu'il ne semble plus possible ici de rien inventer, sauf à s'intéresser à de nouveaux objets.

 

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Textes en ligne

L'intertextualité

Référence, référencialité, relation.
(extraits du chapitre III.)

<Une introduction>

<Le texte contre le monde>

<Vers une théorie de la "référencialité">


<Divergence et convergence>

<Conclusion>

Poses du lecteur dans
L'Homme sans qualités

L'Hybride et l'hétérogène

 

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