Tiphaine SAMOYAULT Travaux et publications
 
 
 

 


L'Intertextualité, mémoire de la littérature
(Nathan, « 128 », 2001)
(Extraits)

Le texte contre le monde

La littérature ne parle pas du monde, mais d'abord d'elle-même, mettant en évidence l'hétérogénéité fondamentale du réel et du texte. Dans la Métaphysique et dans la Poétique, Aristote distinguait déjà deux types de discours : le discours à sens référentiel, qui parle du monde (la philosophie, l'histoire, par exemple) et le discours à sens non référentiel, qui parle de son propre monde – qu'il élabore –, et qui est à lui même sa propre référence ; c'est ainsi qu'il définit la fiction et plus largement la littérature (y compris les textes à caractère référentiel comme le récit de voyage ou l'autobiographie). Un énoncé fictionnel peut faire apparaître des ressemblances avec le monde, mais il ne sera jamais le monde. C'est l'aporie de toute entreprise référentielle à caractère littéraire signalée par Christine Montalbetti à propos du récit de voyage, dans Le Voyage, le monde et la bibliothèque (PUF, 1997) : l'hétérogénéité fondamentale des langages, la différence de texture entre le monde et le texte permettent légitimement de distinguer entre monde et fiction de monde et de ne pas sombrer, comme Don Quichotte, dans l'illusion d'identité. Le recours à l'intertextualité apparaît alors comme le moyen essentiel pour la littérature de construire cette différence, de marquer l'étendue de son univers. La mimésis elle-même, produisant des simulacres, reproduit, répète. L'acte littéraire fondamental s'apparente donc à une forme de répétition et de redite, que l'action de citer, de reprendre les paroles d'autrui ne fait que redoubler. La citation, au sens générique, règle en même temps un problème : si l'énoncé emprunté est de même nature que l'énoncé dans lequel il s'insère, il possède une autre fonction, permettant d'importer un fragment de réel – le texte existant appartenant en effet à la bibliothèque, objet du monde quand celle-ci n'est pas elle-même, comme chez Borges, le monde. Bien penser la notion d'intertextualité permet de sortir de l'opposition tranchée divisant les critiques selon laquelle soit la littérature parle du monde, soit elle ne parle que d'elle-même ; en effet, l'intertextualité réunit ces deux propriétés opposées (...) faire de la littérature un champ autonome et la relier plus directement au monde.

 

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Textes en ligne

L'intertextualité

Référence, référencialité, relation.
(extraits du chapitre III.)

<Une introduction>

<Le texte contre le monde>

<Vers une théorie de la "référencialité">


<Divergence et convergence>

<Conclusion>

Poses du lecteur dans
L'Homme sans qualités

L'Hybride et l'hétérogène

 

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